L’achat (ou la vente) de terrain au Sénégal s’inscrit dans un cadre juridique qui a connu une évolution. En effet, le nombre croissant de litiges fonciers, résultant de la forte croissance démographique et de la demande accrue d’espace, souligne l’importance cruciale de la terre, la rendant sujette à de nombreuses convoitises.
La coexistence d’un droit positif émanant de l’État et d’un droit traditionnel vécu par les populations autochtones crée la complexité du système foncier sénégalais, expliquant ainsi les nombreux conflits fonciers observés jusqu’ici. En effet, bien que la loi 64-46 du 17 juin 1964 interdise toute transaction foncière, la demande des acteurs urbains en quête de terrains pour cultiver ou construire est la principale motivation derrière la vente ou l’achat de terrains. Les acteurs élaborent eux-mêmes des procédures pour réaliser ces actes, et les communes régularisent ces transactions avec des procédures semi-formelles variant d’une commune à une autre.
Cet article vise à examiner le cadre juridique relatif aux biens immobiliers au Sénégal. Il est essentiel de retracer l’évolution historique de la gestion foncière au fil des années. Trois périodes distinctes permettent d’appréhender cette évolution : la période précoloniale (I), la période coloniale (II) et la période post-coloniale (III).
I- La période précoloniale : le système foncier traditionnel
La société traditionnelle avait des caractéristiques justifiant la perception du lien entre l’homme noir et la terre. Le sytème traditionnel est gouverné par des principes légitimes. L’acquisition de la terre se fondait sur la première occupation. La légitimité de ce dernier dépendait de l’ancienneté de l’installation résultant d’un « travail créateur ». Dans un contexte de terres abondantes, la vente ou l’achat de terrains était rare en raison de considérations sociales. L’achat ou la vente portait plutôt sur la force de travail. La valeur de la terre est liée à la mise en valeur. Le travail créateur justifiait le droit de propriété, et sans cette activité, aucun droit exclusif sur la possession n’était justifiée. Tout le monde respectait le droit du premier occupant. Ensuite, d’autres droits émergeaient, tels que le droit de culture, le droit de redevance etc.
Le premier occupant s’identifie à une famille, à un tribut, à une communauté. Par conséquent l’appropriation qu’il avait de la terre ne pouvait pas s’apprécier sur le plan individuel. D’où le boycotte par les autochtones de la conception occidentale de la propriété. Cette dernière est particulièrement individuelle. L’appartenance au groupe avait une grande importance dans la gestion. D’autant plus que le caractère sacré de la terre la rendait inappropriable individuellement, à l’instar de l’air et de l’eau. La terre est un patrimoine communautaire, accessible à tous ceux qui se considèrent apparentés d’une manière ou d’une autre. Les individus peuvent céder la terre, mais ils ne peuvent pas la vendre ou la louer de manière permanente. La terre demeure gratuite et les individus doivent payer des redevances plutôt que des impôts, symbolisant ainsi une relation et une reconnaissance (Samba Traoré).
Le système foncier traditionnel n’est pas fabriqué. Il s’est imposé sans qu’on l’écrive nulle part. Il est souple, communautaire, accepte le partage, ignore la propriété, ignore l’État, se base sur la solidarité clanique, et repose sur des croyances millénaires. L’arrivée du colonisateur va profondément modifier le système foncier traditionnelle.
II- La période coloniale pour achat terrain : l’introduction du système d’immatriculation
Le colonisateur jugeait la conception africaine de la terre incompatible avec le développement. Il a voulu imposer une conception essentiellement individualiste de la terre. L’introduction du système d’immatriculation a légalement transformé la terre en bien, permettant son appropriation individuelle et sa vente. Le colonisateur a adopté le système du livre foncier en s’inspirant de l’Act Torrens. Dans ce système l’immatriculation est l’acte de naissance de la propriété.
Ce schéma influençait tous les systèmes fonciers coloniaux à la fin du 19e siècle, établissant le territoire conquis comme propriété du colonisateur. L’administration délimitait les terrains selon un plan cadastral préétabli, attribuant ensuite les lots à ceux qui les valorisaient. La propriété ne pouvait être transmise, que par vente ou héritage avec l’enregistrement du titre, garantissant ainsi sa validité (https://www.agter.org/bdf/fr/corpus_chemin/fiche-chemin-371.html).
Le décret de 1932 a instauré définitivement le système d’immatriculation des terres et des livres fonciers. Malgré ces initiatives, le colonisateur n’a pas réussi à ancrer l’idée de propriété dans la mentalité des populations autochtones, exception faite des quatre communes (Dakar, Gorée, Rufisque, Saint-Louis) où la diffusion de la propriété foncière était relativement significative. Les traditions restent profondément ancrées chez l’homme noir. Le système Torrens ignorait tous les droits « indigènes ». En Afrique, surtout dans les régions agricoles, il était impossible de négliger les droits préexistants sur le sol. Les populations n’avaient pas besoin de titres pour légitimer l’occupation des terres héritées de leurs ancêtres. D’où la persistance du droit coutumier malgré les efforts du colonisateur pour l’éliminer.
II- La période post-coloniale pour achat de terrain : l’accession à l’indépendance
Les États africains nouvellement indépendants avaient le choix de maintenir l’héritage colonial ou de rompre. Pour le jeune État sénégalais, la rupture semblait possible. Car la diffusion de la propriété n’était pas significative, avec seulement 1% des terres sous le régime de l’immatriculation. La constitution protégeait la propriété privée, et par conséquent, on ne devait pas remettre en cause les immatriculations existantes.
Cette rupture s’est concrétisée avec l’adoption de la loi 64-46 du 17 juin 1964. Le législateur a défini le domaine national par élimination, révélant ainsi trois ensembles qui organisent le système foncier sénégalais. Avec le système d’immatriculation, l’État classe les terres soit dans le domaine de l’Etat en les immatriculant au nom de l’État, soit dans le domaine des particuliers en les enregistrant au nom des personnes privées. Cela donne naissance à trois grands ensembles : le domaine national régi par la loi 64-46 du 17 juin 1964, le domaine de l’État régi par la loi 76-66 du 2 juillet 1976, et le domaine des particuliers organisé par la loi 2011-07 du 30 mars 2011.
La loi 64-46 du 17 juin 1964 régit le domaine national, appartenant à la nation mais détenu par l’État pour une utilisation conforme aux plans de développement et aux programmes d’aménagement. Inspirée de la propriété coutumière du système négro-africain, cette loi reconnaît aux individus de simples droits d’usage, dénués de valeur juridique car s’appliquant à une chose commune et hors commerce. Avec cette loi, seules les personnes exploitant personnellement et matériellement les terres peuvent bénéficier de droits d’usage, et l’État est le seul habilité à immatriculer les terres du domaine national en son nom. La réforme de la loi 64-46 du 17 juin 1964 demeure un sujet d’actualité pour les pouvoirs publics.
La loi sur le domaine de l’État englobe le domaine public et le domaine privé. Il s’agit des biens appartenant à l’Etat. On distingue le domaine public, composé de biens naturels et artificiels non appropriables du domaine privé. La loi 2011-07 du 30 mars 2011 organise la propriété foncière des particuliers. Elle garantit les droits réels.
En conclusion, l’introduction du système d’immatriculation a été décisive dans la formation du droit foncier sénégalais. Elle a donné naissance à trois (3) grands ensemble domaniaux. Nous allons revenir plus largement sur ces ensembles dans nos prochains articles.
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https://kaaraangegui.com/achat-de-terrain-au-senegal-les-differents-titres-doccupation/